Il existe un modèle historique avec lequel tout scientifique ou individu sceptique est, ou doit être, familier, il s’agit de ce phénomène douteux qui disparaît dès qu’il est testé en double-aveugle. Nous l’avons déjà rencontré avec les rayons-N, avec l’homéopathie, la télépathie et de nombreuses interventions ou appareil pseudo-médicaux, et même plus récemment avec les fumeux "bracelets équilibres".
Dans d’innombrables cas sur des centaines d’années, de nombreuses personnes étaient convaincues de la réalité d’un phénomène, qu’elles pouvaient même apparemment démontrer ou détecter (quand elles connaissaient ce qu’elles étaient supposées voir), mais dans des conditions aveugles le phénomène s’évanouissait.
C’est la raison pour laquelle les scientifiques n’acceptent pas (ou ne devraient pas accepter) la réalité d’un nouveau phénomène jusqu’à ce qu’il ait été démontré de telle manière que tout biais et toute illusion aient été éliminés. Il y a une tendance générale à sous-estimer le degré par lequel le biais et la suggestibilité peuvent influencer la perception, quel que soit le nombre de fois qu’il ait été expérimenté.
La perception est particulièrement vulnérable à la suggestion, et l’influence des autres sens. Par exemple, des chercheurs ont réalisé une étude dans laquelle ils ont coloré le vin blanc en rouge [1], et ont ensuite demandé à 54 dégustateurs de décrire le vin. Ils ont utilisé des métaphores rouges pour décrire le vin, comme ils l’auraient typiquement fait pour décrire un vin rouge plutôt qu’un vin blanc.
Dans une autre étude [2], des chercheurs ont mis des dégustateurs de vin en présence de déclarations positives ou négatives sur le vin gouté ; ils l’ont fait avant et après qu’ils goutent le vin, mais avant qu’ils rapportent leurs impressions sur le vin. Les commentaires affectaient les évaluations des dégustateurs sur le vin quand ils étaient donnés avant, mais pas après, la séance de dégustation. Cela suggère que ceux qui le goûtent ne suivaient pas seulement ce que leur expérience de dégustation leur dictait, mais plutôt que les déclarations positives et négatives affectaient réellement leur expérience de dégustation du vin.
Dans une autre étude encore [3] l’étiquette associée au vin (et son prix) modifiait l’expérience du "plaisir" du vin. Il semble qu’il y ait une constante dans la recherche, celle selon laquelle les expériences subjectives peuvent être modifiées par la suggestion, les attentes et d’autres signaux sensoriels.
Avec le vin, la question que de nombreuses personnes se posent est celle-ci : les experts peuvent-ils eux-mêmes vraiment discerner la prétendue différence de qualité dans les vins les plus chers ? C’est évidemment une question plus générale qui peut s’appliquer à de nombreux autres domaines.
Comme dans celui de la musique par exemple. Des chercheurs [4] ont demandé à 21 violonistes professionnels d’essayer de dire quelle était la différence entre six violons, deux Stradivarius, un Guarneri et trois violons modernes. Les tests étaient complètement faits en aveugle, les musiciens ne savaient pas de quel instrument ils jouaient. La répartition des résultats est en accord avec ceux que le hasard aurait donné.
Il s’agissait bien entendu d’une petite étude, mais le double-aveugle était correct. Les sujets étaient tous des violonistes professionnels. Si ces résultats sont fiables, cela implique qu’un violon moderne bien fabriqué peut être aussi bon que le fameux Stradivarius. Cela est en phase avec l’important corps de recherche ayant montré que les individus perçoivent souvent ce qu’ils s’attendent à percevoir, et donc que toute preuve qui repose sur une perception qui n’est pas en "aveugle" est sujette à caution.
Le fait de réaliser des expériences en aveugle est l’un des aspects les plus fondamentaux en méthodologie scientifique. Il est bien établi que sans aveugle, les résultats peuvent être entièrement factices, et il est probable que les gens observeront exactement ce à quoi ils s’attendent. Et pourtant, partout et en tous lieux la pratique commune reste de faire confiance dans des observations non-aveugles de la vie de tous les jours, même pour des conclusions controversées...
L’esprit humain est ainsi fait qu’il n’y a guère de limites à l’auto-illusion. Raison pour laquelle il faut se méfier des expériences subjectives non-aveugles, surtout quand elles visent à établir des conclusions fermes et définitives, pour en faire des généralités.
[1] The Color of Odors. Gil Morrot, Frédéric Brochet, Denis Dubourdieu. Brain and Language, Vol 79, Iss 2, Nov. 2001, pp 309-320.
[2] Expectations influence sensory experience in a wine tasting. Siegrist M & Cousin M-E, Appetite (2009), 52, 762-765.
[3] Marketing actions can modulate neural representations of experienced pleasantness. Hilke Plassmann , John O’Doherty , Baba Shiv, Antonio Rangel. PNAS, Jan. 22, 2008, vol. 105 no. 3, 1050-1054.
[4] Fritz, Curtin, Poitevineau, Morrel-Samuels & Tao. 2011. Player preferences among new and old violins. PNAS.
Charlatans.info
Lun 13 Fév - 22:41