Après 18 ans de procédure, la justice française a relaxé mercredi six médecins et pharmaciens poursuivis pour la mort de 117 personnes victimes d'une hormone de croissance contaminée par l'agent responsable de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Le tribunal correctionnel de Paris a conclu qu'il était impossible de prouver que les prévenus avaient conscience du risque lorsqu'ils ont travaillé pour collecter, fabriquer et prescrire l'hormone, de 1980 à 1988.
Pressé par les parties civiles, le parquet, qui avait requis trois condamnations au procès, a annoncé dans la soirée qu'il faisait appel de ces trois cas. Un second procès sera donc organisé à Paris, sans doute en 2010.
Les prévenus étaient jugés pour "tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires". La lecture du jugement a provoqué les larmes des familles de victimes.
"La justice a tué une nouvelle fois toutes ces victimes, c'est une deuxième mort que l'on vit, (...) Il n'y a pas d'égalité dans la justice", a dit Jeanne Goerrian, présidente de l'association des victimes de l'hormone de croissance.
"La souffrance ne fonde pas le délit pénal", a répondu Me Benoît Chabert, un des avocats des relaxés.
La responsabilité civile, qui suppose l'existence d'une faute simple de négligence et non "caractérisée", comme au pénal qui suppose la connaissance du risque, est retenue par le tribunal à l'encontre de deux prévenus.
Une poignée de victimes se voit donc accorder un total de 480.000 euros. Il s'agit de celles qui n'ont pas encore été indemnisées par l'Etat. Il a déjà versé 31 millions d'euros.
INSTRUCTION INTERMINABLE
L'hormone, administrée de 1980 à 1988 à 1.698 enfants, était porteuse du fait de négligences de l'agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, une affection incurable du cerveau qui provoque une dégénérescence neurologique et une mort lente.
Après quatre mois de procès, en mai dernier, l'accusation avait réclamé quatre ans de prison avec sursis contre Jean-Claude Job, ex-président de l'association France Hypophyse, et Fernand Dray, 86 ans, ex-responsable d'un laboratoire de l'institut Pasteur qui fabriquait l'hormone.
Jean-Claude Job est mort en octobre dernier à l'âge de 86 ans. L'action judiciaire est éteinte contre lui.
Une peine de deux ans avec sursis était demandée contre Marc Mollet, 84 ans, ex-responsable de la Pharmacie centrale des hôpitaux, distributrice de l'hormone, et une sanction d'un an avec sursis contre Elisabeth Mugnier, 59 ans, médecin impliqué dans la collecte.
Le procès en appel ne concernera donc que Fernand Dray, Marc Mollet et Elisabeth Mugnier.
Requise au procès par le parquet, la relaxe est en revanche définitive pour Henri Cerceau, 71 ans, autre ex-responsable de la Pharmacie centrale des hôpitaux, Jacques Dangoumau, 73 ans, ancien fonctionnaire du ministère de la Santé, et Micheline Gourmelen, médecin, 72 ans.
L'instruction a montré que les hypophyses génératrices de l'hormone - glandes crâniennes - étaient prélevées sur des cadavres, sans contrôle, sans hygiène et sans sélection en France, en Bulgarie et en Hongrie.
Le professeur Luc Montagnier, futur découvreur du virus du sida, avait alerté les animateurs de la filière dès 1980 sur les risques, sans recommander la fin des traitements.
Plusieurs autres spécialistes, dont le prix Nobel américain Stanley Prusiner, ont déclaré à l'audience qu'il était impossible de penser à ce risque dans les années 1980.
La maladie de Creutzfeldt-Jakob était rarissime à l'époque des faits. Le tribunal conclut donc qu'il est impossible de retenir le délit d'homicide involontaire. Celui de tromperie est aussi écarté car il n'existait pas selon le tribunal de relation contractuelle entre les patients et l'Institut Pasteur.
Cette instruction déclenchée en 1991 a été l'une des plus longues jamais traitées par la justice française et s'est enlisée dans d'interminables expertises et débats techniques